VENDREDI 17 AVRIL 2020
Mon prénom? Usain. Mon métier? Coureur de fond, sprinter à mes heures perdues. Mes collègues me surnomment « Le Bolt » en référence à l’athlète intersidéral et à ma fâcheuse manie de galoper aux quatre coins du hangar. Je cours, je cours. Ça fait quatre semaines que je cours comme un barjo. Un marathon en comparaison c’est clairement de la gnognote. Je bosse pour le service logistique de la Croix Rouge de Belgique depuis trois ans. J’adore mon boulot, on est tout le temps dans l’action et j’aime bien me sentir utile. Concrètement, j’assure la gestion des stocks et je dispatche le matériel dans toutes les entités de la Croix Rouge en Belgique. En temps normal, on assure les commandes et les livraisons de matériel médical pour les secours mais aussi pour les actions sociales d’aide aux plus démunis, pour les formations de secourisme… Là, depuis le début de la crise sanitaire, l’action on se la prend en pleine face. BOUM! Comme une poussée d’adrénaline qui ne descend pas.
Samedi 14 mars – 9h
La tête dans le coaltar, je chope un mug de café, réunion expresse, pression maximale. Bosser un samedi? on aura tout vu… Crétin de coronavirus. Le confinement a été annoncé hier. La maladie est aux portes du pays. On nous dit que les hôpitaux vont être rapidement saturés. C’est ici exactement que le gymkhana commence. Nous sommes l’un des premiers maillons de la chaine. Et cette course je veux la gagner. GO.
Lundi 16 mars – 7h30
Trois de mes collègues se sont relayés ce week-end. Maintenant je les appelle les frères Borlée. Tel est pris qui croyait prendre. On aime bien se chambrer dans le hangar, surtout en ce moment, ça fait redescendre la pression. On a mis un système de garde en place, comme les médecins: les collègues sur le terrain nous appellent, il leur manque des civières, on court, on charge, c’est parti. On est disponible H24, 7 jours sur 7. C’est comme ça qu’on va plier l’adversaire. BAM.
Vendredi 20 mars – 20h30
Crétin de Coronavirus. Quelle semaine de zinzin. Pour être franc, on était pas prêts, pas suffisamment armés. Quarante pour-cent du personnel logistique est absent (maladie, enfants à la maison, bénévoles de plus de 60 ans écartés). On trouve du renfort, toujours, plus . Tous les postes de secours du pays sont en suractivité. Ils réclament des combinaisons, des lunettes, des gants, des masques, toujours, plus. Il faut déposer des kits d’hygiène pour le parc Maximilien, livrer une tente à la clinique de Saint-Vith, installer un hôpital de campagne devant les urgences de Saint-Pierre, toujours, plus. Soit, on ne s’est pas laissé abattre. Une semaine de réorganisation totale, de remise en cause, d’adaptation. La lutte est sans relâche. Je suis de garde à la permanence ce dimanche, j’ai 24 heures pour serrer ma Loubna dans les bras. Elle ne voit presque plus son papa. GO. Douceur.
Lundi 30 Mars – 8h
Les semaines sont longues, mais ça y est, le service logistique performe, on carbure à plein régime. On a complètement réadapté nos méthodes de fonctionnement pour optimiser les deux secteurs toujours en activité (santé et aide alimentaire). L’équipe maîtrise l’ensemble des flux. On n’est pas à l’abri de nouvelles montées en puissance. On s’adapte chaque jour. La logistique est dans les starting-block quoi qu’il arrive, quoi qu’il en coûte. C’est un vrai sport d’équipe, la cohésion est forte, la solidarité est énorme. Ça me dope, c’est la meilleure des cames.
Mercredi 15 avril – 20h
Je rentre chez moi à pieds, je suis vidé mais j’ai besoin de ce sas de décompression avant de retrouver ma famille. C’est très abrupt de passer sa vie dans un tourbillon et de rentrer dans un cocon presque trop calme. J’entends le bruit sourd des applaudissements qui montent, le peuple est à ses fenêtres, je sais qu’ils sont là aussi pour moi. Je pleure. Surmenage ou émotion, mes sentiments sont confus. Crétin de coronavirus. Je suis conscient que la course est loin d’être finie. Je n’ai pas peur : je suis Usain, coureur de fond pour la Croix Rouge.
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