MERCREDI 15 AVRIL 2020
Il pleurait au téléphone. C’était un coup de fil terriblement touchant. C’était comme si le poids du monde coulait le long de ses joues, de ses épaules. Ses larmes témoignaient d’un soulagement puissant. Cet homme de 85 ans était désarmé, il devait recueillir sa femme hospitalisée depuis janvier. Il ne l’avait plus vue depuis 3 semaines : visites interdites dans les hôpitaux, confinement, tout s’était enchaîné très vite pour lui. Il devait récupérer son épouse plus tôt que prévu pour libérer des lits à l’hôpital. Il désespérait de trouver un service de location de matériel paramédical pour l’accueillir dans des conditions adéquates. Il cherchait en vain, depuis des jours, un lit médicalisé. Elle lui manquait tant, jamais lui et elle n’avaient été séparés si longtemps. Ces semaines lui étaient apparues comme des mois : les plans de tomates du jardin avaient facilement pris un mètre, l’oiseau s’ébrouait au soleil dans l’eau de la mangeoire, les jacinthes bourgeonnaient, les manches de sa chemise s’étaient raccourcies. Elle aime tant le printemps. Il souhaitait la serrer dans ses bras, l’installer au plus près de lui devant le bow-window qui offrait une vue sur leur jardinet. Prendre enfin soin d’elle. Il lui manquait juste un lit pour retirer sa femme de cette claustration qu’imposaient les nouvelles règles.
Ce type d’appel avec une voix nouée par l’émotion et la détresse passée est plutôt rare, mais plus rien n’est ordinaire aujourd’hui. La vie telle que nous la connaissions n’existe plus. Suspendue pour une durée indéterminée.
Il était inconcevable de fermer le service de location de matériel paramédical. Les gens en ont besoin, c’est vital. Nous sommes quasi les seuls acteurs de terrain à assurer la continuité de ce type de service. Le coronavirus tient en haleine une part importante de la population mondiale, les gens sont angoissés, les personnes dont la santé requiert du matériel spécifique, le sont encore d’avantage. C’est crucial pour nous d’assurer la location le plus normalement possible. Depuis l’annonce du lockdown par le gouvernement, le service est d’autant plus mobilisé, principalement par une recrudescence des demandes de lits médicalisés. Nous ne savons pas si c’est parce que des patients du virus rentrent chez eux et nécessitent encore des soins ou parce que les autres craignent d’encombrer inutilement les hôpitaux ou d’être infectés par le Covid-19.
Nos habitudes ont forcément été bouleversées. Nous nous sommes réorganisés depuis le début: un dispositif simple et efficace, une routine de nettoyage et de désinfection stricte, on garde les distances de sécurité, port des gants, port du masque, on remplace nos collègues malades. Un drôle de train-train s’est installé. Il y a une grande cohésion, on est soudés et c’est essentiel dans cette période. Je garde à l’esprit que la confiance en autrui est capitale.
Parfois, la vie des autres ne tient qu’à un lit. Cet homme c’était retrouvé désemparé, abandonné en plein cyclone. Il cherchait de l’aide et du réconfort. Il aspirait si ardemment à trouver la solution pour dorloter son épouse. Notre boulot n’est pas un simple service de location. Les bénévoles de la Croix-Rouge sont là pour écouter, soutenir. C’est avant tout un service de proximité pour des personnes isolées ayant de surcroît une mobilité difficile. Ils attendent qu’on vienne leur raconter le monde quand les bourgeons commencent à sortir et qu’elles ruminent leur solitude. Ce sont nos pères et nos mères. L’absence de liens est délétère pour eux, victimes collatérales de la crise sanitaire. Les familles qui les entourent comblent d’ordinaire les failles de leur situation, mais aujourd’hui elles comptent sur les professionnels. C’est un pilier fondamental qui ne peut pas basculer malgré la tempête.
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