50 ans après le drame de l'Innovation, notre secouriste se souvient
Le 22 mai 1967 restera dans l’histoire de la Belgique comme la date de l’incendie le plus meurtrier auquel le pays fut confronté. La catastrophe de l’Innovation, à Bruxelles, provoque la mort de plus de 300 personnes et 150 blessés.
La première intervention de Jacques
Jacques Van Camp, qui a débuté gamin à la Croix-Rouge comme « benjamin-secouriste » jusqu’à devenir secouriste d’intervention et ambulancier, est alors milicien. Il a 20 ans. L’intervention de l’Innovation, sa première intervention, reste gravée dans sa mémoire, et 50 ans plus tard les souvenirs et images atroces de ce drame sont intacts.
«Je suis entré à l’armée le 2 mai 1967. Le 20 mai, c’était mon premier week-end de permission qui se terminait le 22 à minuit. Le 22, à midi, j’avais rendez-vous pour déjeuner avec des amis secouristes au siège de la Croix-Rouge, chaussée de Vleurgat. Vers 13h30, je me souviens que je suis allé au dispatching et c’est là que la ligne directe du 900 a sonné. On nous demandait un maximum d’ambulances pour un gros incendie rue Neuve, sans autres précisions. On a envoyé illico les premières équipes. J’étais en tenue de soldat : j’ai enfilé un tablier blanc et je suis parti dans la 5e ambulance.
Arrivé au boulevard Botanique, on voyait déjà une énorme colonne de fumée noire, comme si un volcan était entré en éruption. Et tandis que nous étions en route, on entendait les demandes répétées de renfort. Une fois sur place, c’était l’enfer : ça courait dans tous les sens, des gens sautaient par les fenêtres pour échapper au brasier… Les pompiers avaient déjà sorti des victimes qui étaient allongées dans les rues voisines. Nous, on ramassait les blessés comme on pouvait pour les emmener rapidement vers l’hôpital Saint-Pierre qui était débordé. Il faut s’imaginer que les procédures d’urgence n’existaient pas comme aujourd’hui ! Les ambulances étaient petites, il y avait très peu de matériel à bord, la coordination n’était pas en place… Je revois ces images comme un mauvais rêve, le bruit, les vitres qui explosent, la chaleur, l’odeur…
J’ai le souvenir précis d’une jeune femme que je transporte vers Saint-Pierre. Je reste à côté d’elle à l’arrière de l’ambulance, elle est enceinte et ne lâche pas ma main. Une fois arrivé à l’hôpital, un médecin me dit : lâche là, elle est morte. Cette victime-là, j’en rêve encore la nuit…
Toute la journée, nous avons fait des allers-retours vers Saint-Pierre. Pendant plusieurs heures, je me suis retrouvé en enfer. Vers 3 heures du matin, quand tout était sous contrôle, un responsable m’a ramené à la maison, j’étais hébété, assis sur un porche d’entrée, ailleurs… à l’époque, le soutien psychosocial n’existait pas, chaque intervenant devait prendre sur lui et continuer comme si de rien n’était »
Pour les volontaires de la Croix-Rouge, un autre travail a commencé dès le lendemain du drame : fouiller les décombres à la recherche de fragments humains et d’objets personnels, alliances, boucles d’oreille… permettant l’identification des victimes.« Je ne suis jamais rentré à l’armée pour minuit. Au petit matin du 23, les gendarmes étaient d’ailleurs à la maison pour me demander des explications »